Les juifs de Belgique redoutaient un attentat. Ils s’y étaient préparés sous la direction de leurs leaders communautaires.
L’attentat antisémite du Musée juif de Belgique, le 24 mai dernier, n’est pas totalement une surprise. Les principaux lieux juifs (écoles, synagogues, centres culturels, ambassade) sont protégés depuis des décennies par des vigiles payés par la communauté, sous l’autorité du Consistoire central israélite de Belgique, la coupole représentative du judaïsme, dirigée par le Pr Julien Klener. Cette protection obligée, et à leurs frais, est ressentie par les juifs comme une diminution implicite de leur citoyenneté, puisqu’ils ne sont pas aussi libres que d’autres d’évoluer dans leur environnement familier. Si ce n’est en prenant certaines précautions, comme enlever sa kippa ou ne pas arborer d’Etoile de David. Même le rabbin Albert Guigui, juif sépharade tout en rondeurs, en a fait l’expérience dans le métro de Bruxelles, quand il a été brutalisé par des jeunes. En 2002, des cocktails Molotov ont été lancés contre la synagogue de Charleroi, et celle d’Anderlecht a été mitraillée. A Bruxelles, des élèves juifs ont été harcelés par des condisciples sur fond d’accusation de « sionisme ». L’écume d’une tension sous-jacente…
Les précautions sécuritaires lourdes remontent cependant aux « années de plomb », quand sévissaient les Tueurs du Brabant, les Cellules communistes combattantes (CCC), mais aussi le terrorisme palestinien. Les temps étaient alors beaucoup plus dangereux : attentat à la grenade contre des passagers du vol El Al à Zaventem (1979), attentat de la rue Lamorinière contre des enfants juifs d’Anvers (1980), explosion d’un camionnette piégée devant la synagogue de la Hoevenierstraaat, à Anvers (1981), attentats contre les synagogues de Bruxelles (1982) et d’Anvers (1986). L’assassinat du Dr Wybran (1989) a clôturé la série noire.
Au tournant des années 2008 et 2009, l’attaque de la Bande de Gaza par l’armée israélienne (Opération Plomb durci), en réponse à des tirs de missiles palestiniens, a suscité une remontée des actes anti-juifs. Le nombre des signalements antisémites a grimpé en flèche, puis est retombé à 80-90 faits par an, « en temps normal ». De cette époque, date le sentiment d’abandon et d’insécurité des juifs belges. Ils n’ont pas oublié qu’une partie de la fine fleur politique (Philippe Moureaux, André Flahaut, Isabelle Durant et d’autres) a marché en tête d’une manifestation anti-israélienne où l’on criait « Mort aux juifs ». Elio Di Rupo s’en est excusé sur son blog, un an plus tard. Lors du gala annuel du CCOJB, le 1er avril dernier, Maurice Sosnowski, président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), a précisé sa pensée devant un parterre d’invités politiques : « Je ne dis pas que la politique du gouvernement israélien n’est pas critiquable, ce que je dis, c'est qu'un regard déséquilibré ne fait que réactiver les animosités. Ceux qui liront ou entendront plus souvent un reportage équilibré sur Israël, accepteront mieux un reportage équilibré sur la Palestine. Pour qu’il y ait deux Etats pour deux peuples, il faut dire la vérité sur chacun de ces peuples. »
Maurice Sosnowski est obsédé par l’effondrement de la communauté juive d’Argentine après les attentats de Buenos Aires, qui ont tué 110 personnes, en 1992 et 1994. Ils ont été attribués au Hezbollah et à l’Iran. « Les juifs argentins ne s’en sont jamais remis, explique-t-il. Ils souffrent toujours de problèmes psychologiques parce qu’ils ont eu le sentiment d’être complètement abandonnés. » Aussi, en coordination avec l’Intérieur, le CCOJB et le Consistoire avaient mis sur pied, depuis plusieurs mois, un centre de crise intracommunautaire comprenant des équipes de médecins, de psychologues, d’avocats, avec un dispositif de communication, y compris avec les plus petites communautés juives. Il a joué un rôle considérable au lendemain de la tuerie du 24 mai frappant le Musée juif, en faisant passer le message suivant : être prudent et mener une vie aussi normale que possible jusqu’à ce que l’auteur des faits soit arrêté.
« Les gens ont compris que les choses étaient prises en main, relève le président du CCOJB. Lundi, toutes les écoles étaient ouvertes. La vie continue. Le Premier ministre et la ministre de l’Intérieur sont totalement sur la même longueur d’ondes et ont renforcé les patrouilles et la surveillance fixe des lieux juifs. Mais il faudra réfléchir à une prise en charge par la collectivité des frais de vigiles que la communauté assume seule depuis tant d’années. Nous sommes des citoyens comme les autres.»
1er juin 2014
Marie-Cécile Royen