Communiqué de presse du Greffier de la Cour


CEDH 158 (2014)
03.06.2014

Décisions du collège de la Grande Chambre

Au cours de sa dernière séance (lundi 2 juin 2014), le collège de cinq juges de la Grande Chambre a accepté le renvoi de trois affaires devant la Grande Chambre et décidé de rejeter 14 autres demandes de renvoi.

Perinçek c. Suisse (no 27510/08), concernant la condamnation pénale du requérant pour avoir contesté publiquement l’existence du génocide arménien.

Perinçek c. Suisse (requête no 27510/08)

Le requérant, Doğu Perinçek, est un ressortissant turc, né en 1942 et résidant à Ankara (Turquie). Docteur en droit, président général du Parti des travailleurs de Turquie, il participa en mai, juillet et septembre 2005 à diverses conférences en Suisse au cours desquelles il nia publiquement l’existence de tout génocide perpétré par l’Empire ottoman contre le peuple arménien en 1915 et dans les années suivantes. Il qualifia de « mensonge international » l’idée d’un génocide arménien. Le 15 juillet 2005, l’association Suisse-Arménie porta plainte contre lui. Le 9 mars 2007, le Tribunal de police de Lausanne reconnut M. Perinçek coupable de discrimination raciale au sens de l’article 261bis, alinéa 4 du code pénal suisse, concluant que les mobiles poursuivis par le requérant s’apparentaient à des mobiles racistes et ne relevaient pas du débat historique. M. Perinçek interjeta un recours que la Cour de cassation pénale du Tribunal du canton de Vaud rejeta. Selon elle, à l’instar du génocide juif, le génocide arménien était un fait historique reconnu, avéré par le législateur suisse à la date de l’adoption de l’article 261bis du code pénal. Les tribunaux n’avaient donc pas à recourir aux travaux d’historiens pour admettre son existence. La Cour de cassation souligna que M. Perinçek s’était contenté de nier la qualification de génocide mais qu’il ne remettait pas en question l’existence des massacres et des déportations d’Arméniens. Le Tribunal fédéral rejeta le recours de M. Perinçek par un arrêt du 12 décembre 2007.

Invoquant l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention, M. Perinçek soutient que les tribunaux suisses ont violé sa liberté d’expression. Il fait notamment valoir que l’article 261bis, alinéa 4 du code pénal suisse ne présente pas un degré de prévisibilité suffisant, que sa condamnation n’était pas motivée par la poursuite d’un but légitime et que l’atteinte à la liberté d’expression dont il se dit victime n’était pas « nécessaire dans une société démocratique ».

Dans son arrêt de chambre du 17 décembre 2013, la Cour a conclu, par cinq voix contre deux, à la violation de l’article 10 de la Convention. Elle a considéré que les motifs avancés par les autorités suisses pour justifier la condamnation du requérant n’étaient pas tous pertinents et, considérés dans leur ensemble, s’étaient avérés insuffisants. La Cour a observé que les instances suisses n’avaient notamment pas démontré que la condamnation du requérant répondait à un « besoin social impérieux » ni qu’elle était nécessaire, dans une société démocratique, pour la protection de l’honneur et des sentiments des descendants des victimes ayant subi des atrocités dans les années 1915 et suivantes. La Cour a dès lors estimé que les instances suisses avaient dépassé la marge d’appréciation réduite dont elles jouissaient dans le cas d’espèce, qui s’inscrivait dans un débat revêtant un intérêt public certain.

Le 2 juin 2014, l’affaire a été renvoyée devant la Grande Chambre à la demande du gouvernement suisse.

Collectif VAN