Communiqué de la FEAJD

En dépit de tentatives récurrentes de désinformation, la Turquie n’est candidate à l’Union européenne ni depuis 1963 depuis l’accord d’association, ni depuis 1967 – en vertu d’une hypothétique déclaration du Général de Gaule, par ailleurs hors contexte – mais bien depuis décembre 1999, lorsque le statut de pays candidat lui fut accordé par le Conseil européen.

Ce court document entend retracer ces 10 ans de candidature dont il faut bien faire le bilan – celui de l’échec – afin d’en tirer la seule conclusion possible, celle de l’arrêt souhaitable de ce simulacre coûteux et criminel par les vaines espérances qu’il a suscitées.

ETAPES INSTITUTIONNELLES ET PRINCIPAUX EVENEMENTS POLITIQUES


- Juin 1987 : Résolution historique du Parlement européen sur « une solution politique à la question arménienne ». Le paragraphe 4 de cette résolution qui fait du Parlement européen la première institution internationale à reconnaître le génocide des Arméniens « estime que le refus de l’actuel gouvernement turc de reconnaître le génocide commis autrefois contre le peuple arménien par le gouvernement « jeunes Turcs », sa réticence à appliquer les normes du droit international dans ses différends avec la Grèce, le maintien des troupes turques d’occupation à Chypre ainsi que la négation du fait kurde, constituent, avec l’absence d’une véritable démocratie parlementaire et le non-respect des libertés individuelles et collectives, notamment religieuses, dans ce pays, des obstacles incontournables à l’examen d’une éventuelle adhésion de la Turquie à la Communauté. »

- Décembre 1989 : Avis négatif de la Commission européenne sur l’ouverture de négociations avec la Turquie

- Décembre 1999 : le Conseil européen réuni à Helsinki accorde le statut de pays candidat à la Turquie. Selon le Conseil, la Turquie est alors un pays candidat, qui a vocation à rejoindre l’Union sur la base des mêmes critères que ceux qui s’appliquent aux autres pays candidats, c’est-à-dire sur la base des Critères de Copenhague. Depuis lors, chaque année, la Commission européenne publie son « rapport régulier » sur les « progrès » de la Turquie sur la voie de l’adhésion. Ce rapport régulier fait annuellement l’objet d’une appréciation politique par le Parlement européen à travers le vote d’une résolution.

- Novembre 2002 : Arrivée au pouvoir des islamistes de l’AKP qui démarrent un programme volontariste de réformes en vue de l’adhésion

- Décembre 2004 : le Conseil européen réuni à Bruxelles, estimant que la Turquie « remplit suffisamment les critères de Copenhague » donne son accord pour le début des négociations le 3 octobre 2005. Ces négociations se matérialisent par la mise en place d’un processus de suivi (« screening ») assortie de l’ouverture et de la fermeture de chapitre de l’Acquis communautaire.

- Octobre 2005 : début des négociations d’adhésion. Le Parlement européen vote une résolution à cette occasion dans laquelle il « réitère son appel à la Turquie de reconnaître le génocide des Arméniens » et dans laquelle il « considère cette reconnaissance comme une pré-condition à l’adhésion ».

- Octobre 2005 : le Conseil européen adopte le Cadre de négociations proposé par la Commission européenne sur la base que la Turquie remplit « suffisamment » les critères de Copenhague.

- 2005 – 2006 : Essoufflement des « réformes » qui restent pour l’essentiel au stade des déclarations d’intention. Décembre 2006 : Le Conseil européen sanctionne le non-respect du Protocole d’Ankara par la Turquie par le gel de huit chapitres de l’Acquis communautaire.

- Janvier 2007 : Meurtre de Hrant Dink, journaliste arménien de Turquie militant pour la reconnaissance par son pays du génocide des Arméniens. Raidissement ultranationaliste du pays.

- Juin 2007 : début du procès Ergenekon, organisation paragouvernementale, présumée responsable de l’attaque contre Conseil d’Etat (mai 2006), du meurtre du père Santoro (avril 2006), de celui de Hrant Dink (janvier 2007), de celui des trois chrétiens de Malatya (mars 2007), de l’affaire de Semdinli (novembre 2005) et présumée impliquée dans l’affaire Süsürlük (novembre 1996).

- Juillet 2007 : élections législatives marquées par une surenchère ultranationaliste de l’AKP et des partis kémalistes. Victoire de l’AKP ; Erdogan reste Premier Ministre et Gül devient en août le premier président islamiste de la république turque.

- 2007 – 2008 : arrestations et révélations en cascade au sujet de l’organisation Ergenekon et de son imbrication dans les rouages étatiques.

- Mars 2008 : le procureur en chef saisit la Cour constitutionnelle pour demander l’interdiction de l’AKP, accusé d’activité anti-laïque. Grave crise politique qui s’achève formellement par le rejet de la demande (fin juillet) mais qui a pour effet politique d’accentuer la dérive ultranationaliste en anti-européenne du pays.

- Décembre 2008 : Résolution extrêmement critique du Parlement européen qui rappelle que le non respect par Ankara de ses engagements « avant décembre 2009 affectera sérieusement le processus de négociations ».

- Décembre 2008 : Conclusion très critique du Conseil européen sur le processus de négociations. Précédemment, en octobre, la Commission publie un rapport régulier de la Commission qui s’avère pour la première fois très critique sur les « progrès », malmenant ainsi la tradition pro-turque de cette institution.

- Décembre 2009 : Date-limite fixé par le Parlement européen pour la mise en œuvre par la Turquie du Protocole d’Ankara.

UN PROCESSUS OPAQUE ET COMPLEXE

Les négociations d’adhésion avec la Turquie s’effectuent dans le cadre du Partenariat pour l’adhésion. Il s’agit d’un cadre global et complexe qui, théoriquement, visait initialement à amener la Turquie à respecter les Critères de Copenhague avant le début des négociations et qui vise actuellement à lui faire respecter le Cadre des Négociations. Le Partenariat pour l’adhésion a ainsi été établi en 2001 et révisé en 2003, 2006 et 2008. Il est assorti d’une forte dotation financière, véritable manne qui transfert annuellement un milliard d’Euros des citoyens européens en direction de l’Etat turc.

Le Partenariat pour l’adhésion repose théoriquement sur un « dialogue politique », c’est-à-dire sur l’estimation par la Commission des « progrès » de la Turquie vers la démocratie et l’Etat de droit, sur des « critères économiques » qui mesurent la convergence macroéconomique de la Turquie avec l’Union européenne et sur sa « capacité à assumer les obligations découlant de l’adhésion » - l’Acquis communautaire dans le jargon de la Commission.

Cet Acquis communautaire est constitué d’un ensemble de « chapitres », rassemblant thématiquement des directives et règlements issus du droit communautaire européen que les Etats candidats doivent intégrer dans leur droit national. La Commission est en charge de passer en revue (processus de « screening ») la législation du pays candidat puis d’ouvrir et, le cas échéant, de fermer chacun des chapitres dès lors que le pays candidat présente une législation conforme dans le chapitre concerné.

L’Acquis était découpé en 31 chapitres avant que la Turquie ne commence les négociations. Avec la Turquie, quatre nouveaux chapitres apparaissent dont un dénommé « Appareil judiciaire et droits fondamentaux », manière implicite de reconnaître que la Turquie ne respecte pas les critères qui aurait dû lui être opposés avant l’ouverture des négociations.

UN PROCESSUS QUI QUESTIONNE LA CAPACITE DEMOCRATIQUE DE L’UNION

La reconnaissance par la Turquie du Génocide des Arméniens est une condition qui a été mise en avant de nombreuses fois par le Parlement européen. Pourtant, sur la question turque, la Commission et le Conseil négligent continûment l’opinion publique européenne en faisant fi des conditions du Parlement européen.

C’est d’ailleurs le cas de la plupart des autres préoccupations des Européens vis-à-vis de la Turquie : elles ne sont tout simplement pas prises en compte par la Commission ou le Conseil qui se focalisent quasi exclusivement sur le protocole d’Ankara.

Ainsi, les termes de la résolution de 1987 qui mettaient en avant le génocide des Arméniens ou la question kurde pourraient être repris mot à mot en 2009 ; la Turquie n’a fait aucun progrès mais l’Union dégrade ses conditions : La reconnaissance du génocide qui devait initialement conditionner les négociations, ne devait plus ensuite que conditionner l’adhésion avant de ne plus rien conditionner du tout.

Même la ratification du protocole d’Ankara qui devait intervenir avant le début des négociations n’est plus qu’une condition à leur achèvement. Avec le nivellement des critères européens, on ne peut plus dire clairement si c’est la Turquie qui vise à adhérer à l’Union ou le contraire.

UN PROCESSUS DANS L’IMPASSE

Dans le cadre des négociations, la Turquie se devait de mettre en œuvre « de manière intégrale et non-discriminatoire », le protocole additionnel d’Ankara. Ce protocole additionnel prévoit le libre transit des bateaux et des avions des nouveaux Etats membres de l’Union dans les ports et aéroports turcs, y compris donc ceux de Chypre.

La Turquie considère que ceci vaudrait reconnaissance implicite de Chypre. L’Union européenne fait mine de le considérer également. En ne permettant pas l’accès des bateaux et avions chypriotes, la Turquie viole ainsi les dispositions du protocole additionnel. En fait, elle dénie à Chypre son appartenance à la communauté qu’elle prétend intégrer. Ce comportement a déclenché le gel des négociations par le Conseil. En pratique, huit chapitres ne peuvent plus être ouverts et plus aucun ne peut être clos. Par ailleurs, à l’instigation de la France, l’Union européenne se refuse à ouvrir d’autres chapitres qui impliqueraient de manière irrémédiable l’adhésion à terme de la Turquie.

Il n’en reste pas moins que douze des trente-cinq chapitres sont déjà ouverts et qu’un d’entre eux à même été refermé. Hasard ou non, il s’agit du chapitre sur la science et la recherche dont dépend une partie de la politique négationniste de la Turquie.

Télécharger le rapport complet et ses annexes :  http://eafjd.eu/spip.php?article542