une opinion de Jean-François NANDRIN, criminologue

Presque tout le monde a réussi le certificat de fin d'études primaires !? Las! Seule la facilité a progressé! Abaisser le niveau de base dans le fondamental pour faire réussir, c'est saborder le secondaire. Explosif.

Les chiffres miraculeux d’obtention du certificat de fin d’études primaires (CEB - certificat d’études de base) cette année (87,6 % des élèves !) sur base d’un test commun à toutes les 6e primaires montrent une progression continue des réussites: en 2007, 83,9 % et en 2008, 87,2 %. Le ministère annonce 92,6 % de réussite en français, 90,4 en math, etc, avec des résultats moyens par discipline autour des 71 à 76 %. Scores staliniens annoncés pour 2010 ? Comment expliquer les résultats nettement moins convaincants en secondaire de ces petits génies ?

Ce test commun a été retravaillé en fonction de l’analyse des résultats précédents (phase de test) pour fixer un "juste seuil". Et ce qui progresse réellement, c’est sa facilité. Cela permet de faire sortir un maximum d’élèves. "Au moins, ils auront le CEB !" Mais de quelle valeur ? Cela permet aussi de lisser les résultats en éliminant les différences de niveau d’exigence entre écoles primaires. On ne peut en effet plus évaluer au-delà des "socles de compétence", qui sont les seuils minimum dans les matières. Mais ils ne correspondent ni au niveau moyen belge actuel ni au niveau PIRLS (test de lecture en langue maternelle à 10 ans).

Et lorsqu’un élève n’a pas son CEB, on l’envoie souvent quand même en secondaire dans un degré appelé "différencié", où il devrait réaliser deux œuvres (mais qui trop embrasse mal étreint): acquérir le CEB et réussir le premier degré secondaire. On se rend compte que ce passage est une voie de garage qui n’aboutit que rarement à un retour dans le cursus normal. Mais pourvu qu’ils soient sortis de primaire ! Faire monter à tout prix alors que c’est à la bien nommée "école fondamentale" que se jouent les bases !

Mais toucher au fondamental, c’est d’abord toucher à l’exigence de formation des écoles normales et donc à la revalorisation si on veut exiger un meilleur niveau. Encore qu’il faille reconnaître quelques trop maigres efforts de revalorisation (et d’augmentation du nombre d’instituteurs, ce qui est un autre problème).

Ensuite, et peut-être surtout, c’est toucher au nerf de notre société, l’enfant-roi (ce que l’adolescent est moins, tant pis pour lui). Que certains soient enfants-tyrans est une autre question. Mais honni soit qui oserait perturber les chers bambins en leur mettant une limite aussi frustrante qu’un redoublement. "Ils ne s’en remettraient pas." (Par contre, les élèves sans CEB sont censés bien vivre qu’on les laisse mariner jusqu’à quatre années pour l’obtenir en secondaire.) On se demande aussi pourquoi les enfants feraient beaucoup d’efforts puisqu’à la fin "tout le monde a gagné" - sauf si les parents s’investissent dans le travail scolaire et les poussent au-delà de ce qui est demandé. Ainsi, comme d’habitude avec les décrets mal pensés, ceux qui savent sauront plus, aux autres, on retirera encore le peu qu’ils ont.

Le résultat de ces politiques est sous nos yeux. Outre que les enfants ont souvent de plus en plus mal intégré les codes scolaires (mémoriser, demander la parole, travailler à la maison, rester assis, etc), ceux qui arrivent sans CEB ou sans préparation valable dans l’inouïe tuyauterie du premier degré finissent par y perdre sinon leur latin, en tout cas tout projet cohérent car, comme l’on dit, "on fait durer pour le plaisir". La cohérence se dissout dans des passages paradoxaux qui sont en même temps trop clairement des échecs et des relégations. Quand on traîne ainsi sans vrai projet personnel, on en arrive à des situations de tension. Comment obtenir un comportement scolaire d’un élève qui n’en a plus rien à faire ? Je ne sais pas ce qu’on imagine dans un cabinet, mais je sais ce que je vois. La chute du niveau est extrêmement grave pour la société; c'est une politique anti-sociale, celle du vieux sorcier qui veut rester le seul à savoir à moitié lire.

Il y a sans doute également un troisième élément. S’il est devenu habituel depuis peu d’entendre nos éminences parler de "baril de poudre" pour justifier leurs nouvelles politiques, on ne les entend pas identifier la "production de poudre". Politiquement incorrect et peu porteur auprès de populations par ailleurs électoralement largement sollicitées ? A Bruxelles tout au moins, il s’agit du déficit d’intégration. Il y a des quartiers dans lesquels on peut naître, vivre et mourir sans parler français ou flamand. Des commerces au croque-mort en passant par les médecins, il y a un ensemble culturel fermé. Des personnes y vivent (chez nous ? chez elles ?) depuis des dizaines d’années sans parfois même baragouiner une langue nationale. Tout le quartier ? Non, un petit village résiste encore : l’école. Mais on mesure combien les quelques heures passées à l’école compensent peu un phénomène vécu depuis la naissance avec toute la force d’habituation du cercle familial. Plus d’un élève francophone - réussissant - étudie en considérant le français comme une "seconde langue". Et souvent, lorsque le niveau d’étude exige une langue plus précise, plus abstraite, c’est, sinon l’échec, le frein réel.

Sans mesures politiques volontaristes d’intégration, le reste sera poudre aux yeux. Notamment abaisser le niveau scolaire pour faire réussir. On ne fera que du bricolage en secondaire si le fondamental ne joue plus son rôle : c’est là le cœur du combat. Il faut cesser de faire monter des élèves qui ne sont pas prêts en demandant aux écoles secondaires tout à la fois "d’assumer" et d’avoir un taux significatif de réussite. Restera à rattraper la sauce en baissant le niveau en secondaire via des tests communs. CQFD.

Tout cela aboutit dans une série de cas à des jeunes moins formés, avec des diplômes moins significatifs - et après ça, certains font de profondes études pour s’interroger sur les causes des échecs à l’Université. On ne peut même pas dire qu’on mette ainsi des gens sur le marché de l’emploi, car les patrons voient aussi la différence de qualité (quant aux savoirs spécifiques, mais aussi quant aux comportements sociaux et la relation entre travail et gain) et puis, avec la perspective de huit cent mille chômeurs, on voit mal où on absorbera les moins formés. Poudre aux yeux, en attendant que l’autre poudre n’explose. Mais je crains que nos politiciens ne sachent tout simplement plus sortir de leur propre fuite en avant.

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