Le bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Bruxelles, Me Yves Oschinsky, était présent
Ce lundi 6 juillet, s’est ouvert à la 14ème Cour pénal d’Istanbul, la dixième audience du procès des meurtriers de Hrant Dink. Ce nouvel épisode du feuilleton judiciaire Dink n’aura pas apporté grand’chose, si ce n’est la conviction renforcée que la Cour comme les procureurs visent avant tout à lui donner un enterrement de première classe.
En effet, à l’instar des autres fleuves judiciaires turcs que constituent le procès du gang criminel Ergenekon ou celui des assassins des trois chrétiens de Malatya, aucune peine n’a encore été prononcée plus de deux ans et demi après les faits. Et l’appareil judiciaire fait délibérément obstruction à la Justice dans la mesure où l’audition de représentants de forces de l’ordre - police et gendarmerie - fortement suspectées d’avoir laissé faire les meurtriers puis d’avoir détruit les preuves de leur incurie, n’a toujours pas été autorisée.
« Meurs Arménien, Meurs ! »
Lors de cette dixième audition, comme lors des précédentes, n’étaient donc auditionnés que les hommes de paille habituels, jeunes paumés ultranationalistes de la banlieue de Trabzon, fief du Büyük Birlik Partisi (Parti de la Grande Union) et des foyers Alperen que fréquentaient le tueurs et ses mentors.
Au nombres des éléments nouveaux, on notera le témoignage d’une stanbouliote, Mme Mesme Havva, qui marchait juste derrière Hrant Dink lorsqu’elle fut bousculée par deux hommes peu avant le meurtre. Mme Havva fut donc témoin direct de l’assassinat et des paroles proférées par Ogün Samast juste après que sa victime ne s’écroule : Meurs Arménien, Meurs ! ».
Elle a aussi formellement identifié la personne qui accompagnait Samast comme étant Yasin Hayal, celui dont on savait déjà qu’il avait « inspiré » Samast, ce dernier prétendant avoir agi par peur de Hayal. Rappelons que lors de son interpellation, Yasin Hayal avait menacé Orhan Pamuk en criant à la ronde "sois intelligent Pamuk" [1].
Durant toute l’audience les deux hommes n’ont cessé de s’adresser des signes et de narguer la famille de la victime par force gestes et sourires narquois. C’est peut-être la raison pour laquelle, dans un sursaut de décence, la Cour a refusé de les remettre en liberté, pas plus qu’elle n’a autorisé l’élargissement de trois des autres suspects, Erhan Tuncel, « l’informateur » de la police et deux autres seconds couteaux Ersin Yolcu et Ahmet İskender.
Peut-être la Cour a-t’elle aussi agi par souci de ne pas ternir un peu plus son image aux yeux des nombreux observateurs internationaux. Cette dixième audience fut en effet suivie par Me Yves Oschinsky, bâtonnier du barreau de Bruxelles, Me Me Vincent Nioré, représentant du Bâtonnier de Paris, par Me Christian Charrière-Bournazel et Me Alexandre Aslanian, vice président de l’AFAJA ( Association Française des Avocats et Juristes Arméniens), tandis qu’à l’extérieur du tribunal de très nombreux démocrates turcs manifestaient au cris de "les tueurs de Hrant, c’est le gang Ergenekon".
Ainsi donc est allé le train-train d’un simili procès alors que dans le même temps, les preuves de duplicité et de tentative de dissimulation de la police commencent à se faire jour.
« Yasin Hayal est un bon garçon » !
Ainsi, un autre suspect, Veysel Şahin, colocataire de Erhan Tuncel a témoigné lors de l’audience qu’il a été convié entre 2003 et 2005 au siège de la police de Trabzon en temps que « officier de renseignement invité ». A cette occasion, il a vu Yasin Hayal à plusieurs reprises dans ces locaux. Interrogeant ses hôtes - un certain colonel Şinasi et un chef du service des renseignements nommée Feridun - sur l’identité de cette personne, il s’était entendu répondre "C’est un bon garçon" !
La police efface les preuves
Par ailleurs, le journal Milliyet s’est procuré la version originale d’un document confidentiel de la police de Trabzon, signé de la main de son plus haut responsable Ramazan Akyürek. Dans ce rapport en date du 16 février 2006, Erhan Tuncel rapporte que "Yasin Hayal tuera Hrant Dink quel qu’en soit le coût".
Dans ce document Tuncel, ajoute "Hayal fera très certainement ce qu’il veut. Je lui ai conseillé de ne pas le faire. Il m’a dit qu’il tuera cette personne sans considération pour le prix à payer".
Dans une autre partie du rapport, la police estime qu’au vue des antécédents de Yasin Hayal [2], la probabilité qu’il passe à l’acte était très élevée.
Cependant, la version du rapport envoyée à Istanbul est « légèrement » différente. Cette version stipule simplement que Yasin Hayal "prendra des mesures contre Hrant Dink et il restera avec son frère Osman Hayal [3]".
Néanmoins, en dépit des présomptions lourdes de manipulation pesant ainsi sur la police de Trabzon, sur la gendarmerie de la même province qui avait également été informée par Coskun Igci, le beau-frère de Hayal comme sur la police de Samsun qui a glorifié le meurtrier après son arrestation, aucun des représentants des forces de l’ordre n’a été inquiété.
Ainsi va la Justice de Turquie, pays prétendument « candidat à l’Union européenne » où selon que vous serez Turc ou Arménien, vous serez innocent ou coupable.
Laurent Leylekian
[1] le prix Nobel Orhan Pamuk avait évoqué peu auparavant le génocide des Arméniens et les massacres de Kurdes.
[2] Hayal avait peu avant plastiqué un Mc Donald’s à Trabzon en signe de protestation contre Hrant Dink
[3] Depuis lors également inculpé et écroué pour ce meurtre