Assises de l'interculturalité: "On doit intégrer sans assimiler"
Professeur de philosophie morale, politique et juridique à l’Université de Liège, Edouard Delruelle, qui est aussi directeur francophone du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, fait partie du comité de pilotage des Assises de l’interculturalité, qui s’ouvrent ce lundi. Il pilotait déjà en 2004-2005 la Commission du dialogue interculturel.
Les Assises de l'interculturalité arrivent 5 ans après la Commission du dialogue interculturel. Quelle est la différence ?
Il y avait un contexte de tension particulière, avec la loi sur le foulard en France, des incidents graves en Hollande La Commission de dialogue interculturel de 2004 avait un effet cathartique : il fallait qu’officiellement la Belgique affirme l’interculturalité et reconnaisse la présence dans notre pays de cultures non européennes qui ont droit de cité. Cela est acquis, peut-être pas pour tout le monde, mais enfin l’Etat belge l’a dit à cette occasion. Dans la foulée, la Commission avait fait un certain nombre de recommandations. Il faut en faire le bilan pour voir ce qui a été effectivement mis en route, comme le monitoring socio-économique des personnes d’origine étrangère sur le marché de l’emploi qui est la version belge - et à mon avis intelligente - des statistiques ethniques. Il faut peut-être l’élargir à d’autres éléments que l’emploi.
Qu'est devenu le projet de musée des migrations ?
Il y avait effectivement, en 2005, le projet d’un musée des migrations et, d’une manière générale, d’amener dans la société belge l’histoire des migrations et des cultures non européennes qui sont sur notre sol. Comment introduire le drame du Rwanda ou l’immigration marocaine, italienne dans notre histoire nationale ? Cette idée de musée, c’est une ligne dans un rapport ! J’aimerais bien que les Assises fassent une proposition concrète. Je sais que ça représente un certain budget et qu’il n’y a pas d’argent, mais qu’au moins on conçoive, on avance, qu’on sache quels partenaires, éventuellement privés, pourraient y participer.
La commission de 2005 envisageait aussi la possibilité d'aménager le planning des jours fériés pour introduire davantage de diversité culturelle. Où en est-on ?
Là aussi, j’aimerais qu’on passe à quelque chose de concret avec les partenaires sociaux, qu’on se donne un certain timing, qu’on discute. Si c’est difficile de concevoir cet aménagement dans le secteur de l’emploi, c’est encore plus compliqué dans l’enseignement. Si on en accepte le principe, la question des jours fériés devient très vite très technique et nécessite une concertation assez précise. Ici aussi, ce que j’attends des Assises, c’est qu’on avance concrètement. Comme sur la question sur l’extension, ou non, de la loi sur le négationnisme aux génocides rwandais et arménien. A titre personnel, j’y suis favorable. Mais à nouveau, ça devient très vite technique et juridiquement très compliqué.
N'est-ce pas un programme trop ambitieux pour ces Assises ?
Les matières culturelles sont très souvent de la compétence des Communautés et des Régions. Je crois donc qu’il faut être extrêmement modeste sur ces matières-là. Ces Assises n’ont de légitimité que fédérale et doivent plutôt alimenter le débat et les laisser décider en toute autonomie. Il y a, en outre, de grandes différences entre le nord et le sud du pays en matière de politique d’intégration. En Flandre, il y a l’"inburgering" (parcours d’intégration que doit suivre tout nouvel arrivant, NdlR). Il y a une autre approche du côté wallon. Les uns ont des visions fort caricaturales sur les autres. Les Assises pourraient faire dialoguer les deux, sans dire à l’une ou à l’autre ce qu’il faut faire. Sur les matières fédérales : jours de congé, emploi , en revanche, là, il faut être précis et concret.
L'intégration, ça reste une politique difficile, délicate et contestée...
Je pense que la Belgique n’a pas encore intégré l’idée que l’intégration par assimilation culturelle a vécu. Ce modèle a été efficace à un certain moment, mais il ne correspond plus au monde d’aujourd’hui, qui est diasporique, où les individus restent en contact avec leur pays d’origine parce qu’il y a Internet, les antennes paraboliques, les avions La double nationalité se développe. J’aimerais que les Assises de l’interculturalité traitent de problèmes concrets. Un exemple : les maisons de repos. On commence à avoir des demandes de personnes âgées en termes alimentaires, de codes corporels On imagine la souffrance de gens qui sont d’une certaine culture à qui on impose des repas avec du porc. Les Assises doivent se placer à ce niveau-là, le plus concret possible, pour bien faire comprendre qu’on peut très bien réussir l’intégration sans rester focalisé sur l’assimilation. Il faut déconnecter les deux. Pour moi, c’est le grand défi des Assises : on doit essayer de le faire comprendre et accepter par un maximum d’acteurs sociaux.
Mais ne risque-t-on pas, alors, de favoriser le communautarisme ?
Si on en reste à de grandes généralités et de grands discours, si on plaide pour l’accommodement raisonnable in abstracto, en faisant de grandes déclarations, alors, oui, on va flatter les identités et le communautarisme. C’est le grand danger des Assises. Si nous devons lutter contre les discriminations et le racisme et donner à chaque individu sa place, je suis extrêmement réticent à l’égard de toute forme de reconnaissance officielle de minorités en tant qu’entités collectives. Parce que, quand on mène toutes ces politiques dans l’optique de la reconnaissance de ces minorités, on favorise plutôt l’enfermement des unes par rapport aux autres. On risque, en quelque sorte, de leur donner des droits de s’isoler. Le deuxième danger est de susciter une compétition entre les minorités elles-mêmes. Quand on invite une communauté à débattre, il y a toujours au sein de celle-ci une sous-communauté qui ne se sent pas représentée. C’est la mauvaise pente de l’interculturalité qu’il faut éviter.
Annick Hovine