31/01/2020: Le mois de janvier a été marqué par l’exclusion d’Emir Kir, bourgmestre de la commune de Saint-Josse, du parti socialiste au sein duquel il a fait sa carrière politique. Il a été exclu pour avoir reçu, en tant que bourgmestre, des collègues bourgmestres de Turquie et appartenant au parti MHP – le parti d’extrême droite proche des Loups Gris. En fraternisant avec l’extrême droite de Turquie, Emir Kir se mettait en contradiction flagrante avec la ligne de son parti qui se veut en effet être un adversaire farouche de l’extrême droite belge, et du Vlaams Belang en particulier.

Le bourgmestre de Saint-Josse a une longue histoire en politique, et les derniers événements sont un aboutissement de la logique communautariste dans laquelle il s’est enfermé. Kir a en effet construit sa carrière politique sur le soutien de l’électorat d’origine turque, dont il a flatté et entretenu la fibre nationaliste.

En 2003, il faisait campagne auprès de ses électeurs en s’opposant au monument au génocide des Arméniens érigé à Ixelles. L’année suivante, il participait à une manifestation appelant “au rejet des affirmations sur le génocide”. En 2005, il était débouté d’une plainte en diffamation contre les journalistes Mehmet Köksal et Pierre-Yves Lambert, et le tribunal confirma dans son jugement qu’Emir Kir est bien un négationniste.

Plus récemment, en 2015, année centenaire du génocide arménien, Emir Kir et quelques collègues avaient provoqué une controverse très médiatisée en tentant de se soustraire à une minute de silence à la Chambre des représentants et en refusant de reconnaître le génocide de 1915.

Sa collègue du cdH, Mahinur Özdemir, qui refusait également de reconnaître ce génocide, fut exclue de son propre parti.

On peut espérer que l’exclusion d’Emir Kir marque la fin d’un cycle. La croissance du nombre de Belges d’origine étrangère a incité les partis à encourager le vote communautaire : Emir Kir, entre autres, a construit sa carrière principalement sur son identité d’origine. Fortement influencée par les nouvelles venues de Turquie – journaux et télévisions turques sont facilement accessibles en Belgique – cette dynamique s’est nourrie de courants de pensée prévalent dans ce pays, souvent incompatibles avec les valeurs prévalant en Belgique.
En Turquie, en effet le MHP est considéré comme un parti comme un autre, le négationnisme est une politique d’Etat, et l’expression de haine ou de mépris à l’égard des minorités est tellement courante qu’elle passe inaperçue.

Il est grand temps de réinventer la place des minorités, des « Belges issus de la diversité » et de leurs descendants dans le débat et l’espace public de notre pays. Le communautarisme tel qu’il a été pratiqué, loin de contribuer à l’intégration des populations immigrées, les marginalise et fait le jeu de ceux qui voudraient exclure et cliver.

Ce n’est pas ainsi que nous envisageons la participation des minorités en politique. Les Arméniens de Belgique ne se sont jamais prêtés à de tels jeux. S’ils s’impliquent en politique ou dans le débat public, c’est pour participer au développement de ce pays et parce qu’ils épousent sincèrement les idées du parti qu’ils ont choisi. Leur participation citoyenne n’est pas, et ne doit pas être un facteur d’exclusion, mais d’intégration. Et lorsqu’ils mettent en avant leurs origines arméniennes, c’est pour les partager, pas pour les imposer à leurs contemporains. Nous aspirons à une société belge moderne, qui tire profit de sa diversité et reste fidèle à son histoire et à ses valeurs. L’édification d’une société moderne diverse mais unie, ni fracturée ni uniforme, sans exclusion ni communautarismes, est l’un des enjeux des décennies à venir. Les Arméniens de Belgique seront de la partie.

Nicolas Tavitian

Président du Comité des Arméniens de Belgique