La Fondation Boghossian a une nouvelle fois apporté son soutien fidèle et amical à une cause juste, et c’est bien le cas de le mentionner en l’espèce.

A l’occasion de la commémoration du 107ème anniversaire du génocide des Arméniens, elle a organisé le 21 avril 2022, dans son cadre prestigieux, la projection d’un exceptionnel documentaire intitulé Les Justes turcs.  Un trop long silence, réalisé par Laurence d’Hondt et Romain Fleury.  Un débat en présence des deux réalisateurs et de Grégoire Jakhian s’en est suivi, excellement modéré par Gaïdz Minassian venu de Paris pour l’occasion.

Plus d’une centaine de personnes était présente dont une minorité de membres de la communauté arménienne de Belgique.  Comme si rendre hommage à des véritables héros turcs semblait soit inintéressant, soit contestable.

Le documentaire a révélé un double silence.  Celui des familles de ces héros turcs qui n’osent pas parler de leurs vaillants grands-parents par crainte de susciter une violente réaction du pouvoir et de la société turcs.  Mais aussi celui des Arméniens autres que ceux dont un de leurs membres a été sauvés.  Seuls les descendants d’Arméniens sauvés par ces Justes prennent la parole et expriment leur reconnaissance et leur émotion.  Le témoignage d’Andon Akayyan, bien connu de notre communauté, était bouleversant.   Il a en effet appris (lors du colloque consacré aux Justes en 2015 à l’ULB) l’identité de celui qui avait sauvé sa grand-mère, malheureusement au prix de sa vie puisque ce Juste a été ensuite assassiné pour ne pas avoir exécuté les ordres de déportation et d’extermination.  

Il convient ici de rappeler qu’est déclaré Juste celui qui au risque de sa vie a sauvé une vie de manière désintéressée lors d’un génocide.  Mais ce Juste n’en est un que s’il appartient au groupe qui a décidé l’éradication d’un autre groupe. Un Arménien ne peut avoir été un Juste en 1915 mais bien lors de la Shoah.  Ibuka a introduit d’autres conditions encore, plus sociales, liées à la volonté d’entamer un processus de réconciliation nationale.  Le Juste doit en toute hypothèse, pour reprendre l’expression de Jean Hatzfeld, avoir commis une trahison ethnique.

Mais il y a encore un autre silence que le documentaire ne montre pas.  Par pudeur.  C’est celui des Justes qui, par un contraste saisissant avec les bourreaux, ont considéré avoir naturellement accompli le seul devoir possible : non pas celui d’exécuter les ordres mais celui de la fraternité.   La défense d’Eichmann et de tous les négationnistes est pulvérisée par le témoignage de ces quelques héros qui ont sauvé la vie d’autres, au péril de la leur et de celle de leurs familles.

Comme l’écrit René Char :  « le mutisme reconduisait tous les regards ».  La noblesse d’action des Justes turcs oblige, sans réserve et sans condition, les Arméniens.  Que justice leur soit rendue.  C’est ce à quoi la Fondation Boghossian et ce documentaire qu’il faut absolument voir se sont efforcés, avec succès.