Le saviez-vous ? Vous pouvez apprendre l’arménien ancien en Belgique, à l’Université Catholique de Louvain !
Voici notre interview avec Emmanuel Van Elverdinghe, le nouveau professeur de langues et cultures de l’Orient chrétien à l’UCLouvain depuis le 1er septembre 2024
- L’Université catholique de Louvain dispense des cours d’arménien ancien. Quelle chance ! Peux-tu nous expliquer de quoi il s’agit ?
Les cours sont axés sur l’apprentissage de la langue (le « grabar »), dans un premier temps, le but étant de passer dès que possible à la lecture de textes anciens et médiévaux. Au total, un étudiant peut suivre jusqu’à quatre années de cours et aborder, par exemple, des passages de la Bible et des grands historiens, théologiens et poètes arméniens, mais aussi déchiffrer les inscriptions qui recouvrent les murs des monastères, étudier les anciennes traductions arméniennes d’auteurs grecs, et j’en passe. En fait, cela dépend des étudiants : en master, ce sont eux qui choisissent les textes, en fonction de leur projet d’études ou des sujets qui les passionnent. La lecture de ces œuvres est l’occasion de se perfectionner en arménien, mais aussi de comprendre en profondeur l’histoire et la culture de l’Arménie. À côté de cela, il existe également des cours plus généraux, accessibles à ceux qui ne connaissent pas l’arménien : les étudiants y découvrent l’Arménie historique et son contexte, c’est-à-dire le Caucase et le Proche-Orient médiéval.
- Après l’éméritat du Professeur Bernard Coulie, que nous connaissons bien, tu seras désormais en charge de ces études. Quelle est ta vision et quels sont tes projets dans ce nouveau rôle ?
L’UCLouvain et les études arméniennes doivent beaucoup à Bernard Coulie, et c’est un immense honneur pour moi de succéder à celui qui m’a non seulement appris le métier de chercheur mais aussi transmis sa passion pour l’Arménie. J’espère pouvoir communiquer à mon tour cette passion à de nouvelles générations d’étudiants et cimenter encore plus la place de Louvain-la-Neuve comme centre de référence en études arméniennes au niveau international, notamment en y faisant venir des chercheurs étrangers. Mon intention est d’abord de mettre sur pied des projets de recherche sur les manuscrits arméniens et la transmission du savoir en Arménie médiévale, mes spécialités. Le but : mieux comprendre comment les textes anciens ont pu survivre et évoluer jusqu’à nos jours, grâce à leurs scribes, lecteurs, commentateurs, illustrateurs... dont le dynamisme et la créativité forcent l’admiration, si on songe aux conditions historiques et matérielles souvent terribles dans lesquelles ils devaient travailler. À côté de cela, j’ai aussi la chance d’enseigner le géorgien ancien, la littérature grecque byzantine et l’histoire des communautés chrétiennes de l’Orient, ce qui donne une opportunité unique pour étudier les interactions et échanges entre les Arméniens et leurs voisins durant le Moyen Âge.
- L’étude des textes anciens connait des évolutions importantes avec le développement des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle. Où en est-on actuellement ? Faites-vous usage de ces technologies à l’UCLouvain ?
Tout cela se développe à une rapidité incroyable. En fait, la faculté de lettres de Louvain a toujours été pionnière dans le domaine des nouvelles technologies appliquées aux textes anciens, depuis l’époque où les ordinateurs fonctionnaient avec des cartes perforées et des bandes magnétiques, il y a « à peine » un demi-siècle... Aujourd’hui, nous participons au développement de modèles d’analyse de textes par l’intelligence artificielle, via l’apprentissage automatique par réseaux de neurones et en exploitant les nouvelles possibilités offertes par les large language models, comme le fameux ChatGPT. Tout cela, nous l’appliquons aux langues anciennes et orientales (le grec, l’arménien, mais aussi le syriaque, le géorgien, etc.) dans le but de rendre les textes navigables en ligne et exploitables par d’autres chercheurs. Le grand défi, actuellement, est de concilier puissance et exactitude : l’intelligence artificielle est capable de traiter du texte massivement à une vitesse inédite, mais avec un taux d’erreur non négligeable sur des langues « rares » comme l’arménien ancien. Or pour un linguiste, chaque détail compte et 1 % d’erreur est déjà intolérable. C’est là que la longue expérience de l’UCLouvain s’avère inestimable, puisque nous avons accumulé une masse de données vérifiées par des spécialistes, qui nous aident maintenant à développer des méthodes de traitement toujours plus efficaces sans renoncer en rien à la rigueur scientifique.
- En quoi l’étude de l’arménien ancien est-elle particulièrement intéressante par rapport à d’autres langues anciennes ?
L’apprentissage d’une langue ancienne, c’est comme un voyage dans plusieurs dimensions : dans le temps, dans l’espace, et dans la pensée. L’objectif n’est pas d’apprendre à communiquer, mais à s’imprégner d’un univers tout à fait différent du nôtre, et la porte d’entrée vers cet univers, ce sont les écrits. Cela nous plonge dans une façon de penser différente et parfois déstabilisante, que ce soit par le fonctionnement de la langue ou par les références culturelles. Ce qui est fascinant avec l’arménien ancien, c’est que dès la création de l’alphabet au début du Ve siècle, c’est toute une littérature de très haut niveau qui surgit en quelques décennies à peine. Dans ces textes comme dans la langue, on voit se rencontrer et parfois s’affronter les influences de la Perse, de la Grèce, de Rome, du paganisme, du zoroastrisme, du christianisme… tout cela sans jamais supplanter une identité arménienne déjà très forte, qui se nourrit au contraire de ces contacts pour s’affirmer davantage. Et puis, l’arménien est une langue ancienne moins courue que le latin ou le grec, pour citer les plus célèbres : cela veut dire qu’il y a encore beaucoup à découvrir. D’ailleurs, bien souvent, les textes que nous étudions au cours n’ont jamais été traduits en français, ou alors cette traduction date d’il y a 150 ans...
- Un message aux (futurs) étudiants qui se posent des questions sur leur choix d’études ?
Faites avant tout ce qui vous passionne. On a tendance à beaucoup insister sur les débouchés professionnels des études, et c’est vrai que c’est un aspect primordial, mais dans le monde où nous vivons aujourd’hui, cette formation initiale n’est plus aussi déterminante qu’auparavant. Il y a plusieurs raisons à cela ; entre autres, parce que les carrières linéaires sont de moins en moins la norme, tandis que les connaissances spécialisées tendent maintenant globalement à s’acquérir au cours de la vie professionnelle. Bien sûr, si vous avez le projet d’exercer un métier précis, visez le diplôme qui y donne accès, surtout s’il s’agit d’une profession réglementée. Mais on peut très bien obtenir un diplôme de lettres et faire carrière dans la finance, par exemple. Cela s’explique par ce que l’on appelle les « compétences transversales » : capacités de réflexion, d’analyse, de synthèse, résolution de problèmes complexes, travail collaboratif, expression écrite et orale, gestion du temps et du stress, etc. Ces aptitudes essentielles, valables tout au long de la vie, chaque cursus permet de les développer à sa façon ; n’ayez donc pas peur de sortir des sentiers battus et prenez plaisir à relever ce défi des études supérieures en vous formant dans un domaine qui vous motive !
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